Nanatsu no taizai : une fiction inspirée de la culture européenne de l’ouest.
- Le Poulpe
- 17 avr. 2021
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Nanatsu no taizai est un manga écrit et illustré par Nakaba Suzuki, paru pour la première fois dans le Weekly Shônen Magazine de Kodansha depuis octobre 2012. Nanatsu no taizai se traduit en français par « Les sept péchés capitaux » ou les « seven deadly sins » en anglais.
Les seven deadly sins sont un ordre de sept chevaliers se composant de diverses créatures comme par exemple une mage, une fée mâle, une géante… étant au service du royaume de Lionès dans un pays nommé Britannia. Chacun de ces membres est rattaché à un animal et un péché : Méliodas le dragon de la colère, Diane le serpent de l’envie, Arlequin le grizzli de la paresse, Merlin [merline] le sanglier de la gourmandise, Escanor le lion de l’orgueil, Gowther le bélier de la luxure et Ban [bane] le renard de l’avarice.
Les seven deadly sins devront affronter les dix commandements, puissants démons ayant été scellés trente siècles plus tôt et libérés afin de revenir se venger des divers clans à cause desquels leur race a été en grande partie éradiquée.
Cette histoire s’inspire de personnes, faits et lieux réels, mais aussi de la religion (surtout chrétienne) et de la littérature – principalement de la légende du roi Arthur.
Les inspirations littéraires
Commençons tout d’abord par la légende d’Arthur Pendragon : dans le manga, dans le royaume de Camelot, le jeune roi Arthur est accompagné de la seven deadly sins Merlin [merline], une mage chargée de le protéger et de le conseiller. Elle est également le maître de la mage Viviane, chargée de protéger le royaume de Lionès.
Ici, nous avons une référence flagrante à La légende arthurienne. En effet, cette dernière est un ensemble de textes écrits au Moyen Âge autour du roi Arthur et de la quête du Graal. Elle est originaire de Bretagne. Chrétien de Troyes est l’un des auteurs emblématiques de cette légende.
La légende arthurienne met en avant l’histoire du roi Arthur Pendragon qui, d’après les romances médiévales, était un seigneur Breton vivant à Camelot (il est possible que ce site soit inspiré de Cadbury Castle) qui aurait organisé la défense des peuples Celtes des îles Britanniques et de Bretagne armoricaine face aux envahisseurs Germaniques entre la fin du Ve siècle et le début du VIe siècle. La légende d’Arthur est inspirée par le folklore et l’invention littéraire, et son existence n’est pas attestée.
Merlin est, lui aussi, un personnage de La légende arthurienne. Son véritable nom est Myrddin et il provient de la mythologie celtique en tant que druide. Merlin est un magicien doué de métamorphose, enchantement, divination, commandement des animaux et des éléments. Il a été introduit dans cette légende grâce à Geoffroy de Monmouth et Robert de Boron.
Quant à elle, la fée Viviane est celle qui donne l’épée Excalibur à Arthur. Merlin en est amoureux. Elle est aussi connue sous le nom de « la dame du lac ». Dans le manga, et comme précisé auparavant, Viviane est l’élève de la mage Merlin. Cependant, elle n’est pas associée à la dame du lac. En revanche, cette dernière est mentionnée dans la narration et on sait qu’elle a un lien important avec l’épée Excalibur. Donc dans Nanatsu no taizai Viviane et la dame du lac sont deux personnes différentes.
D’autre part, dans cette histoire nous retrouvons les seven deadly sins Méliodas et Escanor. Tous deux sont des protagonistes apparaissant dans la légende du roi Arthur. Méliodas est né au 13e siècle et il est le second roi de Lyonesse. Sa femme s’appelle Isabelle. Dans le manga, Méliodas est chargé de défendre le royaume de Lionès et il est amoureux de la princesse Elisabeth, et cet amour est réciproque. Toujours dans Nanatsu no taizai, Escanor aime Merlin [merline]. Dans le roman Escanor, il est un ennemi du roi Arthur. Escanor le Bel, ou Escanor de la Blanche Montagne, est un méchant subtil, ni vil ni monstrueux.
Par ailleurs, dans l’histoire de Nakaba Suzuki, le roi des fées Arlequin est un membre des seven deadly sins. Le nom d’Arlequin ne vous est certainement pas inconnu, puisqu’il s’agit de l’un des personnages les plus emblématiques du théâtre italien. Arlecchino [arléquino] est un personnage de la Commedia dell’arte qui est apparu au XVIe siècle en Italie, portant un masque noir et un costume fait de losanges multicolores. Ceux-ci représenteraient les multiples facettes d’Arlequin, y compris sa pauvreté. Arlecchino est un emprunt au français ancien du XIe siècle « mesniee Hellequin » qui signifiait « la suite, l’escorte d’Hellequin ». Hellequin est devenu au fil des âges Harlequin, faisant référence à un génie malfaisant au XIIIe siècle. Ensuite, Harlequin au XVIe siècle est devenu Arlecchino. D’autre part, Arlequin provient aussi du personnage Alichino [aliquino] de Dante vers les XIIIe et XIVe siècles.
Arlequin est également originaire de l’expression « familia Herlechini [erléquini] » au XIIe siècle, désignée par le moine Anglo-Normand Orderic Vital. Cette expression désigne le « cortège sauvage », ce qui nous ramène à « la suite, l’escorte ». Quant à la personnalité d’Arlequin, elle fut empruntée aux personnages d’esclaves des comédies latines, celles de Plaute et Térence.

Les faits en partie réels
Ensuite, Nanatsu no taizai contient des éléments de réalité. Tout d’abord, Britannia est clairement un clin d’œil à la Bretagne, terre de naissance de la légende du roi Arthur.
Puis, toujours dans le manga, nous avons des druides. Ils étaient des personnages historiques très importants au sein de la société celtique, au point qu’ils étaient à la fois ministres du culte, théologiens, philosophes, gardiens du Savoir et de la Sagesse, historiens, juristes et conseillers militaires du roi et de la classe guerrière. Les druides se trouvaient être en premier lieu les intermédiaires entre les Dieux et les humains. Il existait également des druidesses ; les plus connues étaient Velléda et Cartimandua. Parmi les druides hommes, les plus célèbres étaient Diviciacos et Dumnorix.
Par ailleurs, dans le récit de Suzuki, un chevalier sacré nommé Dreyfus trahit le royaume de Lionès mais bien malgré lui car il est sous l’emprise d’un démon. Dans la réalité, Alfred Dreyfus était un lieutenant-colonel Français de confession juive né en 1859 et décédé en 1935. Il a été victime d’une machination judiciaire en 1894, qui ne se terminera qu’en 1906. Pendant toutes ces années, les Français se sont divisés entre les dreyfusards et les anti-dreyfusards.
En 1894, donc, le service d’espionnage et de contre-espionnage soustrait à l’ambassade d’Allemagne qu’il y a un traître dans l’armée française. C’est alors qu’à partir de faibles preuves (et, sans se mentir, de sa confession juive), Dreyfus est rapidement accusé. Il est envoyé au bagne en Guyane pour « trahison et dégradation militaire ».
En 1896, Georges Picart, chef du service de renseignements, intercepte un document qui pourrait prouver l’innocence de Dreyfus. Au cours de l’enquête, le véritable traître est démasqué : il s’agit de Ferdinand Walsin Esterhazy. Cependant, Alfred Dreyfus est loin d’être levé de tout soupçon.
En 1898, Emile Zola publie « J’accuse… ! » dans l’Aurore, qui est une lettre adressée au président Félix Faure où il affirme que Dreyfus est innocent. L’Etat engage alors un procès en diffamation au terme duquel Zola est condamné à la peine maximale. Le procès de l’ancien lieutenant-colonel est réétudié et la Chambre découvre qu’il y a de nombreuses fausses preuves à son encontre. Le principal auteur de ces faits, le colonel Henry, avoue tout et il est emprisonné. Il s’est suicidé le lendemain.
Alfred Dreyfus est rapatrié en France pour être à nouveau jugé en 1899. Il est très affaibli après toutes ces années passées en prison. Il est cependant loin d’être tiré d’affaire : il est de nouveau déclaré coupable mais il demandera la grâce, qui lui sera, en quelque sorte, accordée. Suite à cela, il lui est reproché de l’avoir négociée.
Puis, en 1903, Jean Jaurès lit un document lors de l’audience pour juger une fois de plus notre homme. Il s’agit d’une lettre rédigée par le général de Pellieux en 1898. Le président du conseil affirme que jamais le gouvernement n’en avait eu connaissance. Jusqu’en 1906, le dossier d’Alfred Dreyfus est réétudié et il en est conclu qu’il est innocent et est réintégré dans l’armée en tant que chef d’escadron. Il est nommé chevalier de la légion d’honneur et décoré.
En 1908, il est blessé à cause d’un attentat par balle lors de la cérémonie de transfert au panthéon d’Emile Zola, l’homme qui l’avait ouvertement défendu autrefois.
D’autre part, comme mentionné dans l’introduction, les démons dans Nanatsu no taizai ont été éliminés lors de la Guerre Sainte qui les opposait aux déesses, géants, fées, humains et mi-humains mi-animaux. Une Guerre Sainte est une guerre lancée au nom d’un Dieu ou approuvée par une autorité religieuse. Le concept apparaît chez le philosophe et théologien Augustin d’Hippone. Dans son ouvrage La cité de Dieu contre les païens, il a noté : « S’ils ne veulent pas comprendre les beautés et vérités du christianisme, il faudra leur faire la guerre ». L’une des plus célèbres Guerres Saintes est celle qui a opposé les catholiques et les protestants au XVIe siècle.
Les inspirations religieuses
Pour finir, Nakaba Suzuki s’est énormément inspiré des croyances religieuses occidentales pour bâtir son récit. Diane, la géante des seven deadly sins, est une référence à la déesse du même nom qui est responsable de la chasse, du monde sauvage, de la lumière, de la virginité et de la lune. Elle est née de la mythologie romaine. Son animal fétiche est l’ours, et il se trouve que la géante Diane entretient une relation amoureuse avec Arlequin, celui qui est associé au grizzli de la paresse.
La seven deadly sins Diane possède un marteau gigantesque baptisé Guidéon. Guidéon, ou Gédéon, est un personnage biblique et hébraïque du Livre des juges. Il raconte la période de l’histoire des Hébreux entre la conquête du Pays de Canaan et l’apparition de la royauté.
Ensuite, dans le manga, il y a une femme chevalier prénommée Jéricho. Son nom est un rappel à la ville de Jéricho, située en Palestine. Elle est l’un des premiers centres de cultes des divinités lunaires ; et elle est aussi l’une des plus vieilles villes du monde, étant supposément âgée de 11 000 ans.
Maintenant passons aux sept péchés capitaux : les seven deadly sins ont chacun un péché qui leur est attribué, et qui leur correspond à merveille, car c’est, pour chacun, leur défaut majeur. En effet, Méliodas, le dragon de la colère peut être extrêmement dangereux s’il ne maîtrise pas cette émotion. Escanor, le lion de l’orgueil, à cause de sa prétention, peut parfois blesser et faire de la peine à ses amis. Arlequin, le grizzli de la paresse, est une fée qui a un immense pouvoir magique mais il est anormalement faible physiquement. Ban, le renard de l’avarice a quant à lui tendance à être égoïste. Diane, le serpent de l’envie est envieuse et spontanée, ce qui lui donne un aspect mignon, mais cela peut de temps à autres être problématique. Gowther, de son côté est un personnage qui cache un secret vis-à-vis de son corps et il est sans cesse en quête d’identité de genre, il cherche à comprendre les émotions des autres ainsi que les siennes. Il est le bélier de la luxure. Enfin, Merlin [merline], le sanglier de la gourmandise est une mage qui a une soif insatiable de connaissances, ce qui est d’une part un atout car elle sort souvent ses compagnons de situations périlleuses, mais c’est d’autre part un problème car à force de trop posséder, elle perd la valeur des choses essentielles et n’est quasiment plus capable de ressentir des émotions.
Malgré ces défauts, nos personnages sont attachants car c’est ce qui fait leur charme… et puis, que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre…
Après, les seven deadly sins ont pour ennemis principaux les dix commandements, un groupe de guerriers d’élite du clan des démons. Chaque membre a un commandement qui lui a été attribué, et c’est ce qui constitue sa force mais aussi sa faiblesse, car si on déroge à leur commandement en leur présence, ou si eux même ne le respectent pas, c’est la mort assurée.
Chaque commandement se base sur un passage de la Bible :
- La charité: « Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude ».
- La piété : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne ».
- Le pacifisme : « Tu ne tueras point ».
- La pureté : « Tu ne commettras point d’adultère ».
- La réticence : « Tu ne déroberas point ».
-Le repos : « Souviens-toi du jour du repos, pour te sanctifier ».
- La foi : « Je suis un Dieu jaloux qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la quatrième génération de ceux qui me haïssent ».
- La patience : « Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage ».
- La vérité : « Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain ».
- L’altruisme : « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni aucune personne ou chose qui lui appartienne ».
Pour finir, l’intrigue de Nanatsu no Taizai s’appuie sur deux thèmes majeurs : l’amour et le pardon. Dans cette histoire, une géante et une fée s’aiment ; un démon et un ange aussi ; un humain est amoureux d’une mage ; une fée est tombée amoureuse d’un homme. Même si certaines de ces relations posent quelques problèmes pour certains personnages, on comprend clairement que l’on peut aimer qui on veut, quelques soient ses origines ; ce qui nous amène à la maxime « Aimez-vous les uns les autres ».
En ce qui concerne le pardon, les protagonistes subissent au cours de leurs aventures des choses impardonnables, ou presque ; mais ils arrivent toujours à passer outre leurs souffrances, car eux-mêmes ont parfois fait des choses pas très avouables, et ils n’ont jamais été pardonnés. Ils souhaitent, en quelque sorte, croire au pardon avant d’être pardonnés. Là encore, nous avons une référence à la religion : « Pardonnons à ceux qui nous ont offensés comme nous aimerions qu’ils nous pardonnent ».
Ainsi, Nanatsu no Taizai de Nakaba Suzuki est aussi bien une aventure épique, qu’un cours d’histoire, de littérature et d’enseignement religieux.
Maguy
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