Belmondo - Delon : l’ombre et la lumière
- Le Poulpe
- 26 oct. 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 août 2020

On peut trouver dans le cinéma des exemples de carrières d'acteurs qui vont se croiser, se chevaucher, se mêler, se regarder de loin.
De Niro / Pacino, Bourvil / de Funès , Arielle et Dombasle (là c’était raide de trouver une carrière aussi étrange que celle de Dombasle) mais aucun de ces exemples n’est aussi parlant en terme de rivalité fausse ou bien réelle, que celui de Belmondo et Delon.
La France elle même s'est scindée en deux camps : les pro Bebel et les anti Delon (à la fin de cet article un grand sondage sera fait pour savoir dans quel équipe je suis), les fans du Guépard et les adorateurs du Solitaire Magnifique.
Je vais vous exposer si brillamment les faits, que même tous les Kevin de la planète auront non seulement des paillettes dans les yeux mais chevaucheront aussi des licornes.
Je vais tacher de vous montrer dans leurs films en solo et dans leur oeuvre en duo comment Bebel et l’autre vendeur de parfum ont souvent été le miroir l’un de l'autre.
Jean Paul Belmondo est né le 9 avril 1933 à Neuilly sur Seine , il mesure 1m76 - ce qui a priori est une taille hors norme à Neuilly si on la compare aux édiles de la ville (vanne totalement gratuite à l’encontre d’un certain Nicolas S.) Alain Delon est né le 8 novembre 1935 à Sceaux et mesure 1m77 (et voilà déjà d’entrée Môssieur fait son intéressant pour un centimètre.)
Pour faire bref sur la psychologie de comptoir, et pour avoir l'air vaguement intelligent,
intéressons nous à l’enfance de nos deux icônes.
Jean Paul est le fils du sculpteur Paul Belmondo et de l’artiste peintre Madeleine Raynaud Richard.
C’est un enfant aimé et lui-même en admiration totale pour ses parents.
Alain Delon est abandonné à l'âge de 4 ans par ses parents, et placé en famille d'accueil.
Ses parents biologiques se remarient chacun de leur côté refondent une nouvelle famille, tirant une croix sur leur vie précédente. Et par là même nient l’existence d’Alain, projetant déjà une ombre sur sa prime enfance, ombre qui le poursuivra jusque dans ses relations d’adulte.
A contrario, la jeunesse de Belmondo est entourée voire auréolée d’amour.
C’est la fin du passage psychologie infantile : Freud et Lacan partent en vacances.
À ce stade, dix “puntos” pour Griffondelon !
Revenons sur le terrain du cinéma.
Belmondo au cinéma est façonné par la Nouvelle Vague. Son premier vrai succès date de 1960 : c’est “A bout de souffle” de Jean-Luc Godard.
Godard va créer Belmondo et Belmondo va créer les sixties.
Delon ne tournera avec Godard qu’en 1990 dans le film Nouvelle Vague mais celle-ci est déjà passée.
Delon restera sur la plage tandis que Belmondo la surfe.
Si nous étudions les choix des deux acteurs, nous constatons qu'ils vont tourner avec les mêmes réalisateurs mais qu'à chaque fois les genres de films seront diamétralement opposés… comme si Belmondo voulait être sympathique et accessible et Delon volontairement dans la douleur et le drame.
Par exemple pour le cas Verneuil : Belmondo tourne Un singe en hiver (même si elle est mélancolique voire même éthylique, l'histoire offre des passages de réelle comédie).
Delon tournera Mélodie en sous sol et Le clan des siciliens, deux polars avec Gabin où il y a très peu d'éléments humoristiques. Comme si celui qu’on appelait “le taulier” avait déterminé leurs emplois.
Il en va de même pour Lino Ventura, avec qui Bebel tourne 100 milles dollars au soleil, comédie d'aventure dialoguée par Michel Audiard.
Il jouera également avec Delon, dans Les aventuriers qui est considéré comme un film d’action et dans Le clan des siciliens.
Il n'en faut pas plus pour catégoriser les acteurs. C'est le déterminisme du casting.
Bebel est l’accessible exigeant, Delon devient le ténébreux auteuriste.
Delon va jouer pour Melville et créer le taiseux mais intense samouraï.
Belmondo jouera aussi 3 fois pour Melville, notamment dans L'aîné des ferchaux, rôle d'abord proposé à Delon.
Il y aura Monsieur Klein pour Losey, drame sur la déportation.
Autre exemple frappant : Belmondo jouera dans Le Cerveau avec Bourvil - comédie à la Blake Edward - et Delon jouera avec Bourvil dans le Cercle rouge, polar crépusculaire et dépressif pour Melville (c’est aussi un bar à vin angevin pour noyer sa dépression, comme quoi tout est lié...).
Mais ne simplifions pas à l'extrême : Belmondo fait dans la comédie, mais il n'en produira pas moins Resnais pour Stavisky. Résultat : un four terrible.
Il tournera avec Truffaut la sirène du Mississipi, thriller sentimental et psychologique, Léon Morin prêtre, drame sur fond de déportation, Le Voleur de Louis Malle, étude de moeurs.
Il tournera également Moderato Cantabile, où Peter Brook adapte Marguerite Duras (et clairement Duras, en terme de lecture festive, c’est pas du Patrick Sébastien).
Mais ne serait-il pas temps de se dire: “Mais que fait la polisse?” Eh bien, elle est sacrément active.
La fin des seventies et toute la période eighties verra Bebel et Delon multiplier les rôles de flics et de voyous. Comme disait Bebel dans le film éponyme: “Je fais une mi-temps dans chaque camp.”
Il y aura donc Peur sur la ville, Le Marginal, Le Solitaire, Le professionnel, Hold up, Borsalino, L'incorrigible.
Et pour la dark side of the sun, il y aura pour La peau d’un flic (excellent polar co-écrit par Jean-Patrick Manchette, Christopher Franck et Alain Delon lui-même), Un Flic (plus simple on fait pas), Deux hommes dans la ville, Flic story, Mort d’un pourri, Le Battant.
Et là, amis lectrices ou lecteurs, tu te dis :
“Mais n'a-t-il rien vu dans les titres, ce grand couillon ?
Quoi ?! Tu veux dire l’article défini “Le” en mode systématique?
Si j’ai vu, je te ferais dire, je voulais voir si tu suivais !!!”
Pour moi, j'y vois deux choses : la première te fera dire:
“Dis, il va loin, quand même !!”
La première, donc, est de porter à nos yeux de spectateurs la bête cinématographique sacrificielle, tel Ponce Pilate présentant Jésus à la foule.
Ecce Homo.
Voici l'Homme que l'on nous présente.
Belmondo et Delon : les hommes, les artistes.
Ce sont les stars. Doit-on applaudir, ou doit-on les conspuer?...
Mais j'y vois aussi toujours le combat à distance, le triomphe de la masculinité. Ecce Homo. Voici l’homme dans tout ce qu’il a de physique, de musculeux.
Mais Belmondo, Delon c'est surtout notre jeunesse qui fout le camp.
C’est la nostalgie d’un temps qui n’est plus et qui ne reviendra pas.
Ce sont les dimanche pluvieux blottis contre des parents aimant qui louaient des VHS.
Belmondo-Delon, au fond, ce n’est que de l’amour.
Mon amour éternel pour cette volonté de divertir, cette volonté de dire “le monde va peut-être mal, mais il nous reste les images”. Celles d’une cascade en hélico, d'un caleçon à pois, d’un champ de coquelicots où s’achève une romance...
Et une phrase que l'on pose en exergue de sa vie: “Je ne fais pas dans l’utile, je fais dans le romanesque”... (Le Guignolo).
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