Blackkklansman nous parle-t-il de l’Amérique du passé ou de l’Amérique d’aujourd’hui?
- Le Poulpe
- 7 déc. 2018
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 juin 2020

Spike Lee fait son retour avec l’adaptation cinématographique d’un livre autobiographique qui retrace l’histoire de Ron Stallworth, joué par John David Washington, fils de Denzel Washington (qui jouait déjà Malcom X dans le film éponyme réalisé par Spike Lee, la boucle semblant ici bouclée), et plus particulièrement son infiltration au Ku Klux Klan tout en étant un policier noir dans les années 1970.
Ainsi ce film dépeint, avec humour certes, une Amérique divisée et aux prises avec des violences raciales. Cependant, lors du visionnage, ce film apparait comme beaucoup trop actuel, alors qu’il est censé retranscrire des faits se déroulant il y a 40 ans. C’est la raison pour laquelle va être abordée, à travers le prisme de ce film, l’actualité américaine.
1 - Le Ku Klux Klan et les groupes suprémacistes blancs
a) Dans les années 70
Le film traite donc du Ku Klux Klan, célèbre organisme d’extrême droite qui fascine comme il effraie.
Au moment des évènements, une troisième forme de Ku Klux Klan tente de naître (sous la forme de cellules indépendantes). Le KKK ne compte déjà plus que, approximativement, 10 000 membres (contre 5 millions à son apogée).
A ce moment là, toutefois, le Klan connait un regain d’intérêt et d’engagement suite aux lois contre la ségrégation des années 1960, lesquelles provoquèrent la colère de nombreux suprémasistes blancs.
b) De nos jours
Actuellement, le KKK n’est plus vraiment influent, ni même important. Il compte entre 5 000 et 4 000 membres, répartis en petites cellules divisées entre elles même.
Cependant, l’idéologie suprémaciste blanche s’est renouvelée à travers de nouvelles organisations, mieux organisées, plus radicales, plus modernes, comme l’Alt Right.
Mouvement unifié en 2010, c’est un mélanges de plusieurs groupuscules d’extreme droite. Ils sont suprémacistes, bien entendu, mais aussi antisémites, racistes, xénophobes, conspirationnistes, grossophobes, anti-LBGT, anti-média traditionnels etc…
C’est en quelque sorte une forme populiste du KKK qu’il semble avoir supplanté à l’heure actuelle. C’est ce mouvement qui est à l’origine des manifestations de Charlottesville.
Ses membres apportent leur soutien à Donald Trump.
2 - Les relations entre la police et les minorités
Dans les années 70
Spike Lee nous montre en toile de fond les dérives des policiers blancs envers les personnes noires dans ce film.
Notamment, nous pouvons le voir dans la scène ou des policiers municipaux arrêtent Kuame Ture et la présidente du syndicat des étudiants noirs en les brutalisant verbalement et physiquement.
Pendant le film, à plusieurs reprises, sont évoqués les meurtres de personnes noires par les policiers blancs. En outre, crument, sont également filmés les remarques et comportements racistes envers Ron de la part de ses confrères policiers.
Quitte à effectuer une comparaison qui peut sembler hors de propos, d’aucuns auraient presque l’impression d’assister aux débuts dans la police du capitaine Raymond Holt, de la série Brooklyn Nine Nine, dans le cadre de laquelle il parle souvent des difficultés à être noir dans la police durant cette période.
b) De nos jours
Les violences policières envers les personnes noires aux Etats-Unis font, malheureusement, de nombreuses apparitions dans l’actualité.
En effet, selon le journal The Post, 17 hommes noirs auraient été tués en 2016, puis 19 en 2017, lesdits hommes étant désarmés au moment de leur décès. Ces chiffres sont effrayants, et le fait de constater que ce genre de « faits divers » adviennent à une telle fréquence à une époque supposée civilisée et équitable l’est encore plus.
Le film apparait d’ailleurs assez complaisant envers la police, présentée comme regroupant des héros (qui procèdent à l’arrestation d’un policier raciste alors qu’on suppose que la réalité des faits doit être légèrement plus lugubre). Ceci n’est pas tellement étonnant quand on sait que Spike Lee avait été rémunéré pour réaliser une campagne de communication dont le but était d’améliorer les relations entre la police et les minorités.
Toujours est il que les violences existent toujours, 40 ans plus tard.
Certaines de ces bavures policières ont donné lieu à des manifestations comme celle de Ferguson qui a défrayé la chronique en 2014.
3 - Une certaine ambiance de guerre civil
Dans le film
Pendant que le film avance, l’ambiance s’électrifie entre les mouvements de défense des personnes noires et le Ku Klux Klan.
En effet, le film dépeint une ambiance de guerre civile, dans le cadre de laquelle deux camps s’organisent et se polarisent. Nous ne voyons pas d’affrontements directs mais tout (à commencer par les faits) porte à croire que de telles extrémités auraient pu avoir lieu.
Comme, par exemple, du 23 au 28 juillet 1967, ou il y eut 83 morts dans la seule ville de Detroit et 127 dans diverses autres villes.
Les affrontements font 43 morts et plus de 2.000 blessés.
Les troubles s'étendent dans plusieurs Etats dont l'Illinois, la Caroline du Nord, le Tennessee et le Maryland. En 1967, 83 personnes sont mortes dans des violences raciales survenues dans quelques 128 villes.
b) De nos jours
Cette ambiance de guerre civile et d’affrontements et confrontations en marge de manifestations a-t-elle disparu ? Malheureusement, non.
Parmi les derniers exemples en date les plus marquants figure l’affrontement de Charlottesville.
À l’origine, la convergence de ces groupuscules d'extrême-droite et de leurs contempteurs a lieu dans cette ville de Virginie , dans laquelle survient une décision de la mairie de déboulonner dans un jardin municipal la statue d'un général sudiste favorable à l'esclavage : Robert E. Lee..
Pour manifester leur désaccord, des groupes de la droite radicale et identitaire, dont le Ku Klux Klan et certains néonazis, ont décidé d'organiser une journée de mobilisation baptisée "Unite the Right Rally ».
Des centaines de manifestants et de contre-manifestants étaient arrivés dans la matinée dans cette ville de l’Est américain.
Des échauffourées entre les deux camps ont alors rapidement éclaté, malgré le déploiement de la police anti-émeutes et de la garde nationale.
Face à cette escalade de violences, le gouverneur de Virginie Terry McAuliffe ira jusqu’à déclarer l'état d’urgence.
4 - La complaisance des institutions et des pouvoirs à l’égard des suprémacistes
Dans le film
Ce point est, dans le film, accessoire.
Nous pouvons détecter un tel caractère à plusieurs reprises, tout d’abord de la part de la police.
Au tout début du film, le directeur prévient Ron qu’il va entendre des propos racistes à son égard et qu’il doit être prêt à les accepter. Ceci montre très clairement la volonté de la direction de fermer les yeux sur les actes racistes au sein de la police.
Le deuxième exemple est à la toute fin du film, lorsque ce même directeur de la police demande à Ron et son équipe d’abandonner l’enquête et de détruire le dossiers sans donner la moindre raison.
Cette scène laisse supposer qu’un individu, au dessus du poste de directeur de la police, lui a pour arrêter l’enquête malgré (ou à cause) de sa réussite être qu’un détail, mais la complaisance des pouvoirs n’apparait qu’au début et à la fin du film, comme si, malgré tout le développement de l’intrigue, rien n’avait changé.
b) De nos jours
Je présume du fait que vous êtes restés jusqu’à ce stade de l’article que je n’ai pas tellement besoin de poser la question, « réthorique » selon d’aucuns, suivante: « pensez-vous que cela à changé de nos jours? ».
Vous savez aussi bien que moi que non.
Commençons par les policiers non poursuivis ou non condamnés pour le meurtre de personnes noires.
Le meurtrier de Eric Garner n’a pas été inculpé, alors que sa victime (père de six enfants) est morte étouffée lors d’une interpellation « musclée ».
Le policier meurtrier de Michael Brown a vu les poursuites contre lui être abandonnées (donnant lieu aux émeutes de Ferguson).
De même pour le meurtre du petit Tamir Rice (12 ans), de Freddie Gray (25 ans), entre autres.
Ce sont des exemples parmi tant d’autres, des exemples dans le cadre desquels les policiers ne sont pas poursuivies, dans le cadre desquels justice n’est pas rendue, sous le spectre desquels les autorités couvrent les bavures.
Pour assister à une bavure à plus grande échelle, aucun exemple n’est plus probant que le discours de Donald Trump sur les émeutes de Charlottesville (qui d’ailleurs se trouvent à la fin du film. En prononçant une déclaration qui a fait scandale, il met dos à dos suprémacistes blancs et militants antiracistes en évoquant « des violences venant de diverses parties », puis il dira « J’ai regardé de très près, de beaucoup plus près que la plupart des gens. Vous aviez un groupe, d’un côté, qui était agressif. Et vous aviez un groupe, de l’autre côté, qui était aussi très violent. Personne ne veut le dire ». Des déclarations qui ont bien entendu fait scandale au vue de la sympathie, à peine dissimulée, du président américain envers les suprémacistes blancs.
5 - Négationnisme et Antisémitisme
Dans le film
Cela représente moins de 5 minutes dans le film, mais j’ai souhaité quand même le souligner. A un moment du film, Felix interroge Flip pour savoir si il est juif ou non et c’est la qu’il profère des propos négationnistes.
Pour mémoire, le négationnisme est une Doctrine niant la réalité du génocide des Juifs par les nazis, et notamment l'existence des chambres à gaz (Source: le dictionnaire Larousse).
Il s’agit là d’une doctrine extrêmement proche de l’antisémitisme, interdite en France, complètement rejetée par les historiens.
L’antisémitisme est d’ailleurs extrêmement présent dans le film au travers des propos des membres du KKK.
b) De nos jours
Ces courants existent toujours aux US actuellement, tout d’abord au travers de mouvements comme l’Alt-Right qui ont des Néonazis dans leurs rangs, mais aussi à travers d’autres organisations comme Liberty Lobby (dissoute en 2001), dirigée par Willis Carto, antisémite et négationniste revendiqué. Ils essayaient de s’intégré au milieu universitaire en organisant des coloques, des conférences, et éditaient un hebdomadaire intitulé Spotlight.
Conclusion
Ainsi, les maux de l’Amérique d’il y a 40 ans sont toujours ceux de l’actuelle. Même si certaines choses ont évolué et progressé, les plaies restent ouvertes. Ce film nous permet de prendre conscience d’une chose, c’est ce qui s’y passe existe encore et les tensions se sont ravivées depuis l’élection de Donald Trump, président ouvertement xénophobe et complaisant envers des mouvements suprémacistes blancs.
Ainsi durant ce film on rit, mais on rit jaune (sans mauvais jeu de mots).
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