top of page

Du ciné et des monstres : Fascination facile ou grand cinéma ?



Pourquoi vous allez voir des films de monstres au cinéma, vous ? Pour avoir peur, pour rire, pour vous en moquer ou simplement pour être distrait par le spectacle ? Quel que soit cette raison, elle doit être efficace puisque c’est sur des films comme Godzilla vs Kong que les studios telle la Warner parient pour remplir les salles à nouveau (ce qu’on espère), preuve que ce genre de film marche encore. Pourtant, le cinéma est le seul art où ces figures de la peur sont rarement applaudies, autant par la critique que par le public : ainsi, les monstres de la mythologie, de la littérature (comme la créature de Frankenstein) ou de la peinture (faites un tour du côté de chez William Blake) sont des allégories, de grandes métaphores métaphysiques ou politiques, alors qu’au cinéma ils semblent seulement servir à̀ nous vider l’esprit. Doit-on dès lors considérer les films de monstres comme de simples divertissements faciles et rentables ou comme un vrai genre de films de grand cinéma ?


1- Des navets, du faux-sang et des monstres


Quoi de plus facile que de mépriser un gros Blockbuster aux nombreux effets visuels et aux grosses créatures (qu’on ira pourtant regarder avec plaisir) ? En effet, quand on pense « films de monstres assez anciens pour avoir marqué le cinéma et ses codes », on pense aux films des années 30, 50 et 60, bref des moments de crises (et donc d’innovations). Une société de production a particulièrement excellé dans cet art du cheap flippant (pas toujours flippant) : La Hammer. Ça vous dit rien Christopher Lee en Dracula, en momie ou en créature de Frankenstein ? Bien évidemment... que non (à la limite Dracula pour les plus cinéphiles) et c’est normal : la plupart de ces films sont pauvres du point de vue de leur scénario ou de leurs effets spéciaux (ou des deux) à cause du manque de budget d’une société qui cherchait à l’époque, avant tout, la rentabilité. Et bien que ceux-ci soient restés cultes et fondateurs, il n’en demeure pas moins que ces films-là sont à l’origine du mépris que nous avons conservé envers les films de monstres surtout quand on voit ce qui sortait à la même époque au cinéma : la Nouvelle Vague, suivi du Nouvel Hollywood (rien que ça). Un cinéma révolutionnaire, expérimental, mettant en avant l’artiste au profit de la production face à deux trois postiches trop mal maquillés pour dissimuler le jeu des acteurs... les monstres n’ont pas fait le poids. À la mort du nouvel Hollywood et l’émergence des grands studios américains (Lucasfilm, Universal...) dans les années 1970 – dès la sortie et le succès planétaire de Star Wars (toujours ces forbans) – les films de monstres voient se planter le dernier clou qui les crucifie au bois du Film mal aimé : le film de monstre est condamné à devenir soit un film de grosse production sans originalité et saveur autre que les FX qu’il propose (et dont il ne se prive pas), soit un film artistique et innovant mais noyé aux milieux de ces grosses productions qui l’étouffent. Notons que certains de ces films à volonté artistique ont su s’imposer et remodeler leur genre (Alien, le Huitième passager (1979), l’Etrange Noel de Monsieur Jack (1993) ...)


Et puisqu’on n’aime pas trop se dire qu’on est assez bête pour apprécier les films avec de gros combats de monstres en CGI, on s’étend rarement sur notre affection pour ces films.


2- Always look on the Bright side of Monsters


Le cinéma est avant tout un spectacle, né comme une attraction de fête foraine, entre un cirque et un stand de barbe à papa ; donc aller voir un film pour voir un spectacle (l’essence même de cet art) ne fait pas de nous des cinéphiles incultes (on vous file l’excuse pour la prochaine fois qu’on vous embête lorsque vous voudrez voir Jurassic World 3). En un mot, du cinéma d’auteur aux blockbusters, les monstres sont partout (pour notre plus grand plaisir) ! Et ce, depuis les débuts du cinéma : Georges Méliès, au hasard ? Évidemment ! Comme dans Le Voyage dans la Lune (1902) dont vous avez peut-être déjà entendu parler, Le Cauchemar (1896), ou le sobrement intitulé Le Monstre (1903). Le précurseur du cinéma français (excusez du peu) jouait déjà avec ces figures mi- terrifiantes, mi-fascinantes (et re-mi-terrifiantes derrière). Qu’elles aient pour but d’impressionner, de faire peur ou de faire rire, ces créatures de cauchemars ont en fait jalonner l’histoire du septième art, autant dans ces moments d’abondance que de récession. Et les bons films de monstres aussi. De King Kong (1933) à La Forme de l’Eau (2017) en passant par Dracula (1992), les bons films de monstres ne manquent pas. La raison ? Ceux-ci représentent en vérité une angoisse universelle, un sentiment indicible, irreprésentable et profondément humain. Jurassic Park (1993) par exemple traduit la fascination et l’angoisse des gens de l’époque pour la révolution génétique balbutiante ; Godzilla (1954) est une allégorie de la crainte des conséquences des particules nucléaires sur l’environnement ; Monstre et Cie (2001) - parce que OUI c’est un film de monstres - représente la peur de l’autre, de l’inconnu, de ce qu’on se refuse à̀ connaître, mais du point de vue du monstre (ce qui est brillant). En vérité́, «monstre» vient du latin monere qui signifie « avertir, prévenir » ; le monstre est donc avant tout un présage ou l’avertissement d’un franchissement de seuil, d’une erreur commise. La créature du Docteur Frankenstein (dans le célèbre roman de Mary Shelley) en est une bonne mise une scène : cette créature est le fruit de l’excès et de la transgression de son père (le professeur éponyme) qui est terrifié devant la monstruosité de sa création. Ainsi, le « bon» monstre est en vérité un message annonciateur, plutôt qu’une menace en soi, et le bon film de monstre, celui qui utilise ces signes pour créer chez le spectateur l’émotion recherchée par le cinéaste (et pas uniquement la peur).



D’ailleurs, un bon film de monstres, c’est avant tout un bon film en soi et un mauvais film de monstres, c’est avant tout... bon, vous l’avez.


3- Y a pas qu’la taille qui compte (mais quand même)


Reprenons un peu notre latin. Bien que le mot « monstre » vienne de monere, il ne serait pas incongru (et on assume ce mot) de dire qu’il est aussi familier de monstrare qui signifie (attention suspense) «montrer, designer». Le monstre est ce qui montre un problème (ce qu’on a dit tantôt) mais surtout ce que l’ON MONTRE, pointe du doigt, qui est bizarre. En ce sens, Elephant Man (1980) de David Lynch est un film de monstre. Le monstre est montré comme tel par la société pour marquer la différence avec les gens « normaux ». Mais comme au cinéma on fait toujours l’inverse de la vraie vie, le monstre est au contraire celui qui ne DOIT PAS être montré, qui doit rester caché, ou plutôt, celui dont on cache la face (du visage à la simple présence) dans l’objectif d’une révélation intense et forte. Dans Alien, par exemple, la créature n’est que très peu montrée, ce qui angoisse davantage le public, jusqu’aux scènes finales qui glacent par leur horreur. Tout le film est ainsi à l’image de la genèse du monstre : caché et tapi dans notre for intérieur pour mieux sortir au moment venu en nous déchirant le ventre (bon ok, on s’emporte). Si on suit cette logique, un Blockbuster qui passe son temps à nous montrer ses gros monstres en VFX (ou SFX pour les anciens) est forcément mauvais. Et si on va encore plus loin, plus le monstre est énorme (sa taille étant proportionnelle aux millions investis pour le concevoir par ordinateur), plus il cache la pauvreté du scénario du film (franchement vous y croyez à la profondeur du scénario du prochain Godzilla vs Kong ?). D’ailleurs, il est amusant de remarquer ainsi que Godzilla a grandi de près de cent mètres des années 50 à nos jours (pas mal la poussée de croissance, hein ?) ; on comprend pourquoi ils cherchent tant à nous le montrer, et ce dès la bande annonce. À titre de comparaison, c’est un problème technique sur le tournage des Dents de la Mer (les robots du requin ayant été dysfonctionnels) qui poussa Spielberg à ne montrer (dans un premier temps) que l’aileron de sa créature : cacher effraie bien plus que révéler. On pourrait dire qu’un simple souci technique a fait passer ce chef d’œuvre d’un mauvais film de monstre potentiel à un BON film de monstre (haha).



Ainsi, le genre du film de monstre est en vérité un panel complet, qui s’étend du nanard raté et sans moyen, au chef d’œuvre oscarisé, en passant par le Blockbuster à pornographie monstrueuse et par le petit film indé transgressif et innovant. Alors, la prochaine fois que vous projetterez de voir un film de monstre demandez-vous d’abord ce que vous attendez de celui-ci par rapport à la promesse qu’il vous fait (en mesurant la taille du monstre déjà, c’est un indice) et surtout en ne vous comportant pas en véritable monstre ignare à son égard.



La Madeleine

Comments


Post: Blog2_Post
bottom of page