Pourquoi on l’a oublié ?Hook, ou la Revanche du capitaine Crochet
- Le Poulpe
- 10 août 2020
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 août 2020

Commençons par une anecdote : en 1924, Sir George Frampton offre une statue de bronze à l’effigie de Peter Pan à la Belgique, un don qui avait pour but de montrer l’amitié qui unissait les enfants d’Angleterre et de Belgique pendant la Grande Guerre. Plus qu’un personnage de fiction, Peter Pan est à l’époque déjà un symbole d’union pour les enfants au milieu des guerres que se livrent les adultes, les pirates. Pourtant, Peter Pan est un personnage nouveau, il fait sa première apparition dans le livre de J.M Barrie The Little White Bird (1902) avant que l’auteur écossais ne lui consacre une oeuvre entière dans sa pièce Peter Pan ; or, The Boy Who Wouldn’t Grow Up en 1904. Tout le monde connait Peter Pan (si,si tout le monde), grâce au dessin animé Disney de 1953 et aux autres oeuvres s’inspirant de l’univers de J.M Barrie. L’éternel enfant inspire, et de nombreuses adaptations filmiques se succèdent ; celles-ci sont plus ou moins fidèles, et connaissent des succès variables, comme celle qui nous intéresse aujourd’hui : Hook, ou la Revanche du capitaine Crochet. Réalisé par Steven Spielberg en 1991, ce film reçu des critiques mitigées mais connu un grand succès auprès du public à sa sortie (300 millions de dollars au Box-office) et fut nominés pour cinq oscars. Malgré un casting de rêve (Robin Williams, Dustin Hoffman, Julia Roberts, Maggie Smith et bien d’autres...) et une bande- son signée John Williams, tout le monde reconnaitra que le film n’évoque plus grand chose aujourd’hui. En d’autres termes, le film avait tout pour être un chef d’oeuvre qui resterait dans les mémoires, ce qui ne fut pas le cas ; alors, pourquoi a-t-on oublié Hook ?
1-Parce les FX ont très vite été dépassés Qui ne s’est jamais plaint que les effets spéciaux d’un film avaient tant vieilli qu’ils rendaient son univers trop hermétique, comme la trilogie originelle Star Wars par exemple (y a que la vérité qui blesse, snif). Si Hook a reçu des nominations aux oscars en décors et effets spéciaux à l’époque, ceux-ci ont très vite été dépassés et semblent avoir des années (lumière) de retard à côté d’un film comme Jurassik Park, sorti deux ans plus tard. Spielberg expliquera avoir regretté que la technologie au moment de la production du film (bien antérieure à sa sortie) ne soit pas assez avancée pour faire tous les décors en numérique. On comprend alors que les FX utilisés pour le Pays Imaginaire aient mal vieilli : les séquences de vols dans les airs sentent le faux et les décors entièrement construits en studio font carton pâte.
2-Parce que le film est long (vraiment long) Hook est avant tout un film familial dont une grande partie du public sont des enfants. En ayant connaissance de ce public ciblé, la durée du film est sans doute une des grandes erreurs de Spielberg. En effet, une comédie ou un film pour enfant classique dure en moyenne 1h30 à l’époque (les films ont aujourd’hui tendance à se rallonger), Hook s’étale sur 2h30 ! Pas étonnant donc qu’il en résulte d’importants moments de creux comme certaines séquences où Robin Williams apprend à redevenir Peter Pan ou une séquence de dîner « imaginaire » avec les enfants perdus...ces moments n’ont pas aidés à faire de Hook un film mémorable.
3-Parce que le Pays Imaginaire est trop ancré dans les 80’s Le Pays Imaginaire est par définition un monde qui se refuse à toute influence et à toute assimilation du monde réel : tout le monde se crée son Pays Imaginaire. Celui-ci est intemporel, c’est ce qui fait toute sa poésie, mais celui que Spielberg met en scène dans Hook respire les années 1980. On sent qu’il à été fait à une époque précise, pour un public précis. Autrement, difficile d’expliquer pourquoi le chef des enfants perdus, Ruffio, est un punk à crêtes rouges (espèce en voie de disparition avec le réchauffement climatique) ou l’utilisation de skate-boards, du base-ball et du basket au Pays Imaginaire. On se croirait plus à Disneyland, plutôt qu’à Neverland.

4-Parce que Steven ne l’aime pas Aussi étonnant que cela puisse paraître, Spielberg déclara lui-même en 2013 : « Je veux revoir Hook encore car je n’aime tellement pas ce film que j’espère qu’un jour je le reverrai et aimerai quelque chose » (aïe). Il évoquait à ce moment là une mauvaise direction artistique dans la création du Pays Imaginaire et les effets spéciaux précédemment évoqués, témoignage reflet des difficultés que rencontra le film avant de sortir.
5-Parce que le projet fut laborieux Si Spielberg s’est moins attaché à Hook, c’est peut-être aussi parce que le projet, laborieux , est passé entre plusieurs mains. Après le début de la pré-production, Spielberg quitte le projet pour se consacrer à son premier enfant (Max de son p’tit nom), le projet continue avec un nouveau scénariste et réalisateur : Nick Castle. Ce dernier connait plusieurs différents artistiques avec l’équipe du film et notamment le casting avant que Spielberg ne fasse son retour, modifiant une nouvelle fois le script. Il en résulte un projet moins personnel, remodelé plusieurs fois, avec une patte de Spielberg diluée. Le tournage ne se passe pas comme prévu non plus, Spielberg déborde de presque un mois faisant passer le coût du film de 50 à 70 millions à cause du temps perdu.
6-Parce que Peter Pan est adulte
On aura beau dire ce qu’on veut, quand le spectateur, et surtout celui qui est familier avec l’univers de Peter Pan découvre un film sur ce dernier, il s’attend surtout à retrouver des aspects fondamentaux de cet univers et notamment son héros enfant qui refuse de grandir. En l’occurence, Spielberg s’autorise à mobiliser cet univers en le transformant ; il fait de l’enfant qui ne voulait pas
grandir un adulte, obnubilé par son travail qui exige de ses enfants qu’ils prennent en maturité : Peter Banning. Le fait que Peter Pan soit devenu tout ce qu’il combattait dans le Pays Imaginaire serait peut-être mieux passé auprès du public si on avait vu dans le film un Peter Pan enfant (au moins pendant une partie significative du film) mais il n’en est rien justement parce que le film montre un adulte qui retrouve sa part d’enfant tout en restant une adulte de quarante ans. L’idée est originale, mais peut être trop subversive pour un public dont l’imaginaire collectif assimile Peter Pan à un jeune garçon.

7-Parce qu’on se souvient plus de Robin Williams que de ses films Robin Williams fait sans aucun doute partie de ces acteurs iconiques aimés de tous dont on regrette qu’ils n’aient jamais été récompensés d’un oscar pour un rôle principal durant leur carrière (il gagne l’oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Will Hunting en 1998). Les hommages qui eurent lieu lors de sa mort en 2014 donne une bonne idée de la popularité de l’acteur américain encore aujourd’hui. Pourtant, si tout le monde connait Robin Williams, beaucoup moins gardent en mémoire les films dans lesquels il a joué. On pourrait citer, Le Cercle des poètes disparus (1989), Madame Doptfire (1993), Will Hunting (1998) parmis les films qui ont surtout marqué grâce à la performance de Williams. Véritable soleil éclipsant toutes les autres étoiles. Hook vient s’ajouter à cette mystérieuse liste. Robin Williams y occupe le rôle principal, celui d’un Peter Pan vieillissant ce qui illustre bien la capacité de Williams à choisir des rôles souvent originaux voire risqués qui ne rencontrent un grand succès qu’avec une partie du public.
8-Parce qu’il ne fut pas un échec mais pas un carton non plus Le film a bien marché (300 millions de dollars de recettes) mais le budget faramineux qui a nécessité sa création relativise ce succès. En effet, la création du film a couté plus de 70 millions de dollards, une somme record pour l’époque, plaçant pendant plusieurs années Hook parmi les cinq films les plus chers de l’histoire du cinéma, (en l‘an de grâce 28 avant Avenger Endgame). Ce profit en demie teinte est à l’image du souvenir que le public garde de Hook parmi les films de Spielberg.
9-Parce qu’il est noyé au milieu des autres films de Spielberg C’est quand il se démarque qu’un film est retenu, or Hook est sorti pile entre la trilogie Indiana Jones (1981,1984,1989), La liste de Schindler et les Jurassic Park (1993), autrement dit, d’immenses succès qui n’ont pas aidé Hook à rester dans les mémoires.
10-Parce que c’est toujours Disney qui gagne Il est vrai que quand on pense au personnage de Peter Pan, on pense avant tout au film d’animation Disney de 1953. On pourrait croire que le Peter Pan de Disney est plus connu parce qu’il est arrivé bien avant Hook et pourtant, dire que le film de Disney serait plus connu parce qu’il est sorti avant serait un peu court, jeune lecteur. Par exemple tenez : La Belle et la Bête de Jean Cocteau (avec Jean Marais dans le rôle de la bête) réalisé en 1946 est salué à sa sortie et il est reconnu par de nombreux critiques comme un grand film. Et pourtant, très peu ont aujourd’hui vu le film de Cocteau mais tous ont vu la version de Disney (1991) qui a littéralement éclipsé le film de 1946. Ainsi, le Disney Cinematic Universe efface souvent de notre imaginaire collectif les films qui abordent les univers qu’il a déjà ou qu’il compte exploité. Mais Hook mérite-t-il pour autant d’être oublié ? N’y aurait alors il aucune bonnes raisons de se souvenir de ce film ? Si (paye ton suspens). Si Hook occupe encore aujourd’hui une place toute particulière dans le coeur de plusieurs spectateurs c’est peut-être avant tout pour ses 40 premières minutes, absolument magiques. L’univers s’installe de façon douce, subtile et Spielberg dissémine avec discrétion les premiers indices de l’intrigue ; des plans fréquemment débullés dans la chambre des enfants de Peter ou un dosseret de lit en forme de roue de bateau donnent l’impression que le spectateur est déjà sur un bateau malmené par une houle nuageuse qui le mènera au Pays Imaginaire : on a déjà un pied au Pays Imaginaire (d’autant que Spielberg joue avec les références visuelles à la chambre des enfants du film de Disney). Hook est aussi un de ces films inclassables à l’identité forte, à mi-chemin entre le blockbuster et le film d’auteur. Les références et la fidélité à l’oeuvre originale sont également appréciables dans un film qui reste l’adaptation d’une oeuvre littéraire : Wendy (campée par Maggie Smith) explique à Peter Banning (Robin Williams) qu’il est Peter Pan en montrant une illustration du livre de J.M. Barrie ; Hook s’ouvre sur une pièce de théâtre où la fille de Peter Banning interprète Peter Pan devant les parents de ses camarades. Cela n’est pas sans rappeler l’oeuvre originale de J.M Barrie est une pièce de théâtre ainsi que le fait que Peter Pan ait été toujours interprété sur scène par une jeune fille (fun fact : la première occurence d’un acteur masculin pour interpréter Peter Pan au théâtre date de 2003). On pourrait même aller jusqu’à dire que Hook est le film qui a le mieux compris et retranscrit la poésie de l’histoire originale. En effet, au-delà de l’audacieux parti-pris de faire de Peter Pan un adulte qui aurait oublié son passé, on remarque que Spielberg a en partie emprunté cette idée de suite à J.M Barrie lui-même qui, dans une suite de sa pièce, met en scène un Peter Pan qui tenterait de ramener au Pays Imaginaire une Wendy, adulte et mariée ; ne pouvant finalement arriver à ses fins, il est dit que Peter emmènera chacune des descendantes de Wendy avec lui, ce qui est aussi évoqué dans le film de Steven Spielberg. De plus, malgré une esthétique datée du Pays Imaginaire, les costumes font toujours mouche, si celui de Peter Pan à la fin du film est peu marquant, ceux du Capitaine Crochet et des enfants perdus surpassent de loin toutes les autres adaptations filmées de la pièce originale. Au delà de l’esthétique, un propos intéressant se dégage de Hook, Peter Pan est devenu un pirate (c’est une des premières phrases que Wendy lui dit lors de son arrivée dans sa maison d’enfance), il a le vertige en avion alors qu’il volait, il ferme les fenêtres de la chambre de ses enfants pendant la nuit (ces même fenêtres qui lui permettait d’emmener les enfants au Pays Imaginaire) : Peter Banning n’a désormais plus le temps pour jouer ou pour voir ses enfants jouer (que ça soit au théâtre pour sa fille ou au baseball pour son fils), il veut que ses enfants grandissent, lui qui refusait d’être adulte. On peut également apprécier dans Hook, une mise en valeur des minorités, en cela il se distingue largement de la version de Disney où tout le monde est blanc : Ruffio, le chef de file (indienne) des enfants perdus est asiatique et Gras-Double, un jeune garçon noir de forte taille, est celui que Peter choisit pour lui succéder. Il faut également parler de la musique composée par John williams : cette bande-son incroyable aurait sans doute été plus connue si le film avait mieux marché ; pourtant on y retrouve déjà les prémisses du thème d’Edwige dans Harry Potter et de « Accross the Stars » dans la deuxième trilogie Star Wars. Elle traduit magnifiquement l’aventure, le tragique, le comique et le merveilleux de l’univers. Enfin, le casting est à lui seul une raison valable d’aller voir le film. Juste pour le plaisir de voir s’affronter un Robin Williams joueur au regard pétillant et Dustin Hoffman jouant les Capitaine Crochet dépressif et comique, sans délaisser la prestance et le panache propres à son personnage. On notera que Julia Robbert interprète le rôle de la Fée Clochette et que Maggie Smith, même si on la voit peu, joue une Wendy touchante.

Le crédit que l’on accorde à Hook ou la Revanche du capitaine Crochet est symptomatique d’une époque et d’un public. Ce film n’est pas parfait, loin de là, mais il faut regarder avec nostalgie les maladresses, les petites imperfections ou les FX qui ne fonctionnent plus très bien, parce que, dans une époque d’uniformisation du cinéma comme la notre, il reste un film fondamentalement différent, et c’est aussi pour cela que Hook ne doit pas être oublié.
La Madeleine
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