Roger Carel, profession : menteur
- Le Poulpe
- 3 déc. 2020
- 4 min de lecture

En 1993, le comédien François Perier publie un livre du nom de Profession : menteur, dans lequel il retrace ses cinquante ans de carrière, ses cinquante ans sur scène à prétendre être quelqu’un d’autre. Si l’on considère le doublage comme le summum du mensonge du métier d’acteur, alors Roger Carel est probablement l’un des plus grands menteurs du 20ème siècle.
Né en 1927 dans le 11ème arrondissement de Paris, il a été la voix d’un droïde doré chez George Lucas, celle d’un ourson ou d’un serpent affamé chez Disney, celle d’un célèbre détective dans les adaptations des romans d’Agatha Christie avec Peter Ustinov, ou encore celle d’un irréductible gaulois moustachu chez nous… Roger Carel a traversé la deuxième moitié du siècle passé, d’abord au théâtre, une activité qui l’accompagne de la fin des années 40 aux débuts des années 80. Brillant également au cinéma (On a volé la cuisse de Jupiter ou Papi fait de la résistance, pour ne citer qu’eux) et à la télévision, c’est pourtant bel et bien le doublage qui cimente Carel comme l’idole de plusieurs générations.

« En une journée, on passait d’un studio d’enregistrement à un plateau de cinéma ou de télé. Le soir, on était au cabaret ou au théâtre. »
Le comédien a la chance, durant les prolifiques décennies pendant lesquelles il prête sa voix, de mettre son talent au service de légendes telles que Charlie Chaplin (qui sélectionne lui-même Carel pour le doublage du Dictateur en 1965, étant fan de sa voix). La version française du discours du barbier devenu empereur à la fin du film de Chaplin reste encore aujourd’hui un monument du doublage français, grâce à la profonde humanité, la sincère volonté de révolte et la rage sans filtre qu’y insuffle Carel. Pour les légendes, il y aura également Peter Sellers, Jack Lemmon ou Anthony Daniels, qu’il suit de 1977 à 2005, sur les six premiers films de la saga Star Wars. Remplacé par Jean-Claude Donda à partir du Réveil de la Force en 2015, l’interprète original de C3PO demeure, pour des générations de fans français, la voix irremplaçable du mythique droïde de protocole.
« Capitaine, les chances de traverser un champ d'astéroïdes avec succès sont approximativement de 1 sur 3720 »

En restant du côté des films pour petits et grands, on ne peut pas éviter sa carrière mythique chez le géant Disney. Jiminy Cricket, Kaa, le Père Siffleur de Robin des Bois, Pongo, Winnie l’Ourson et, forcément, l’icône des studios elle-même, Mickey, dans les années 1970 et 1980. Ainsi, tous les enfants des années traversées par le comédien en ont leur souvenir : terrifiés par Kaa, le serpent glouton, rassurés par Jiminy, conscience de Pinocchio, ou amusés par les bêtises de Winnie, nous pouvons tous trouver chez Disney un ou plusieurs souvenirs de Roger Carel, des souvenirs heureux, individuels ou collectifs.
« Aie confiance, crois en moi… »
Il est temps de passer à la cerise sur le gâteau (où sur le pudding à l’arsenic) : dès 1967, Roger Carel est, en animation, l’une des figures les plus cultes de la bande-dessinée française, Astérix le Gaulois. Alors que les voix d’autres personnages tels que Panoramix, Obélix ou César trouvent différents interprètes au fil des années, il reste, jusqu’en 2014, une constante : pour les créateurs derrière les nombreux dessins animés sur Astérix, le petit teigneux a SA voix, celle de Carel, celle qui transportera le personnage à travers le vingtième siècle, pour émerveiller et faire rire les enfants des années 1960 à aujourd’hui. Y compris un certain Alexandre Astier, amoureux des histoires de Goscinny et Uderzo dès son plus jeune âge, n’hésitant pas à faire appel au comédien pour son Domaine des Dieux. A la suite du projet avec le papa de Kaamelott, M. Carel va prendre une retraire bien méritée, après des décennies à parodier pour notre plus grand bonheur, et le sien, des multiples clichés sur le français moyen, à travers Astérix : « C’est Goscinny qui m’a guidé vers la voix de ce petit Français emmerdeur, qui discute et qui conteste. Il le souhaitait charmant… mais susceptible ! ». Mission accomplie.

« LE LAISSER-PASSER A 38 ! »
Un parcours exceptionnel, et une vie bien remplie pour celui qui avouait lui-même dans son autobiographie (J’avoue que j’ai bien ri, 1986), ne pas être intéressé par la stabilité, par peur de la monotonie. Pour conclure sur une note plus personnelle, j’ai eu la chance de voir cette légende du doublage sur scène il y a déjà treize ans, lors de l’anniversaire du premier Star Wars au Grand Rex. Un week-end inoubliable, qui m’a ouvert les yeux sur le travail colossal de ces comédiens de l’ombre, du talent, du travail et de l’implication requis pour mettre en place une VF de qualité. Treize ans, comme pour se rappeler que le temps passe, mais comme M. Carel l’avait dit lui-même, lorsqu’on est heureux, on vieillit sans doute un peu moins vite.
Merci Roger Carel.
Vincent Déjardin
Comments