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Cépasifo ! #1 – 300 (Zack Snyder, 2006)





Un après-midi de plein soleil, Prosphos et Kléistos sortent du cinéma et discutent du film qu’ils viennent de voir.


KLÉISTOS : Non mais c’est pas possible dis, c’est si compliqué à Hollywood de faire un film historique un minimum respectueux de la période en question ?


PROSPHOS : Ne t’emporte pas voyons, c’est juste un film.


K : Tu as raison. M’enfin…


P : Et puis, tous les films historiques ont, au fond, quelque chose de vrai en eux.


K : Tu plaisantes ?


P : Absolument pas. Dans certains cas, je dirais même que c’est pas si faux.


K : Et dans 300 tu vois quelque chose d’historique peut-être ?


P : Ne me lance pas.


TITRE ET GÉNÉRIQUE (ah oui c’est vrai, c’est un article pas un film, reprenons)


K : Ça fait 14 ans que tout le monde s’accorde à dire que c’est la pire bouse historique du cinéma hollywoodien, un bon gros blockbuster sans cervelle de Zack Snyder quoi. Regarde, rien que dans son concept : 300, tout le monde sait qu’ils étaient pas 300 les Spartiates aux Thermopyles. Aux dernières nouvelles ils auraient plutôt été 10 000 hoplites (soldat fantassin en Grèce Antique).


P : Mais le film ne dit jamais qu’il n’y avait que 300 Spartiates pour lutter face à l’immense armée perse. Il montre bien au contraire, aux détours de quelques scènes que plusieurs armées et plusieurs cités sont réunies dans cette bataille : ne te souviens-tu pas de ce moment où Léonidas, partant en guerre, rencontre Daxos l’Arcadien et son armée ? ou encore de quelques répliques évoquant les armées phocéennes ou thespiennes ?


K : J’avoue plus me souvenir du « Spartiates, quel est votre métier ? » que du reste de la scène. Et on n’ira pas me faire croire qu’ils nous montrent 10 000 soldats dans le film. 1000 à tout casser je pense.



P : Le film s’intéresse d’avantage au destin héroïque (et grandement héroïsé) des 300 Spartiates, garde rapprochée du roi de la cité lacédémonienne, Léonidas. Celui-ci est d’ailleurs montré comme le commandant en chef de l’armée de terre grecque, charge qu’il a vraiment endossée, et pas seulement de l’armée spartiate, comme cela est évoqué à la réplique « La bataille sera finie lorsque je le dirai… ».


K : Tu connais bien le film dis-moi.


P : J’ai un peu révisé, oui.


K : Bon, je t’accorde ce point, mais c’est un film ouvertement cliché et raciste, qui plaque des pensées actuelles à une époque où elles n’avaient pas lieu d’être.


P : Tu trouves ?


K : Avant tout, il faudrait évoquer la couleur de peau beaucoup trop foncée des Perses (aux costumes clichés et incroyablement irréalistes), surtout quand on la compare aux Spartiates au teint de cachet d’aspirine. Les Perses sont aussi montrés comme des monstres barbares et assoifés de sang. Ceci est d’ailleurs totalement opposé à la pensée hellène (ça veut dire grecque) de l’époque : la mètis était une pensée qui cherchait à voir l’autre comme ayant plus de qualité que soi-même, ni racisme ni condescendance, simplement différent.


P : Mais…


K : Je finis. Quant aux combats, eux-aussi sont monstrueusement clichés : des soldats qui sortent des rangs et qui rompent les formations, ça meurt en 2 minutes, même si c’est Léonidas le personnage principal !


P : Il faut quand même accepter une certaine distance entre la réalité et le film, comme on accepte un écart entre la « vérité historique » des sources de l’époque et ce qui s’est surement vraiment passé. Hérodote lui-même (qu’on considère pourtant pour le premier historien) parle d’une pluie de flèche qui cachait le soleil, comme le film le met en images.



K : Et les Immortels, on en parle ?


P : Les Immortels de Xerxès sont une vraie troupe d’élite…


K : Mais qui devait son nom à son nombre de combattants tel que les soldats qui mouraient étaient immédiatement remplacés pour garder la formation : des soldats d’élite oui, mais par la force du groupe ! Et puis ils ressemblaient pas à ça…


P : Et pour l’aspect cliché, il ne faut pas oublier que le film nous montre uniquement le point de vue des Spartiates, cité grecque cherchant à lutter contre l’impérialisme perse (bien que cela ne les empêchera pas de s’allier avec eux plus tard). D’autant plus que le film ne nous montre à aucun moment la vérité sur les évènements : tout le film n’est que la narration que Dilios raconte à ses soldats, juste avant la bataille de Platée qui mettra fin aux guerres médiques.


K : Et alors ?


P : Eh bien, le but de Dilios est de motiver ses soldats en glorifiant le sacrifice des soldats spartiates et de montrer comme plus tyranniques et monstrueuses encore les troupes de Xerxès.


K : L’arbre sur lequel sont attachés les cadavres du village massacré par les Perses, tu vas me dire que c’est réaliste ?



P : Pour le coup, oui et non. Ce passage est en fait une grosse mauvaise interprétation : ce genre de pratique était répandue dans l’Antiquité et s’appelait « une exposition », le but étant de rendre hommage aux vaincus d’une bataille en offrant leurs corps aux dieux. Donc, oui ça existait, mais tout l’inverse de ce qu’on ressent devant le film (qui nous met du point de vu des Grecs).


K : Bien sût, et les grenadiers qu’on voit à un moment ça aussi c’est vrai ! C’est tellement rare de les voir au cinéma alors que ça c’est vrai ça !


P : Ha ha…


K : J’avoue, ça c’était une vanne. Les grenadiers n’apparaissent pas avant l’époque des croisades.


P : J’ai pas dit que tout était exact non plus.


K : Et tu vas pas non plus me faire croire que les Spartiates sont des défenseurs de la liberté (ce qu’ils prétendent dans le film) alors qu’ils vivent dans un système oligarchique et monarchique absolument inégalitaire ?


P : Le film ne parle pas de défenseurs de la liberté sinon plutôt d’hommes libres. En fait il s’agit de citoyens égaux entre eux par leur statut social mais aussi – et surtout – le statut de soldat : la citoyenneté et la défense de la cité sont à l’époque tout à fait liées, un homme est citoyen parce qu’il est soldat ; tout ce qui ne sont pas soldats ainsi (et on voit bien dans le film la sélection très stricte des soldats lacédémoniens) ne sont pas citoyens.


K : Mais…


P : Là c’est à moi de finir. Le film met justement parfaitement en scène cet apprentissage de l’esprit civique lors de la période dite de l’agogée, de 7 à 18 ans environ, lors de la première séquence du film ; c’est un rituel d’inversion durant lequel l’enfant spartiate est volontairement mis dans une situation de précarité extrême et où il doit s’efforcer de ne pas aller à l’encontre des lois de la cité (voler était interdit par exemple).



K : Menfin on va quand même s’accorder sur le fait que le film est un énorme majeur brandit à la figure de l’histoire elle-même, au point où le peuple iranien – se reconnaissant comme héritiers direct de la Perse – a dû porter plainte contre le film et le traitement qu’il fait des Perses. Et puis même : des zombies, des éléphants géants et des rhinocéros de combat ! C’est du n’importe quoi !


P : Ne regarde pas ces exagérations qui sont dues, d’une part comme je le disais à l’exagération du conteur lui-même, mais surtout à l’aspect grand spectacle du film. Regarde plutôt les moments de pépite historique, comme la description de la phalange et de son fonctionnement que fait Léonidas à Éphialtès. D’ailleurs la première scène de bataille qui la suit (avant que Léonidas ne rompe en premier les rangs) est vraiment bien tournée et proche de ce que devait être une vraie phalange grecque, stratégique et non exterminatrice.


K : Mais alors, tout ce mélange pour quoi ?


P : Pour ma part, je pense qu’il faut voir ce film et son rapport à la vérité historique comme le rapport entre l’Iliade d’Homère et la véritable expédition vers la ville de Troie : exagérée pour coller à un discours – la lutte contre l’hubris (l’excès) et la pensée citoyenne chez les Grecs ; l’islamophobie post 11 septembre et guerres au Moyen Orient (déjà présente dans la bande-dessinée de Franck Miller) – mais ponctuée de petits détails de vérité historique. Ce passage détaillé sur la phalange grecque pourrait ainsi être mis en parallèle de la description qu’Homère fait d’un casque en dents de sanglier que possède le roi Ajax et qu’on a véritablement retrouvé sur les ruines de la potentielle Troie.


K : Va pour ton interprétation, elle me plait. Mais alors, si 300 est aux Thermopyles ce que l’Iliade était à la Guerre de Troie, aucune chance de voir un jour un film traiter cet évènement avec un semblant de réalisme.


P : En revanche là…


Les deux amis continuent de parler, mais ce sera l’objet d’un prochain article


La Madeleine

 
 
 

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