I May Destroy You
- Le Poulpe
- 19 avr. 2021
- 4 min de lecture
I May Destroy You | Michaela Coel | 7 juin 2020 | HBO

#Metoo, le mouvement qui libère la parole, donne la possibilité aux victimes d’être entendus, de pointer du doigt leurs bourreaux, voit le jour en 2017. Il a fallu l’émergence des réseaux sociaux, les prises de paroles d’actrices Hollywoodiennes, pour prendre conscience que les gestes, les mots, les blagues de certaines personnes n’étaient plus tolérables. Que la justice n’est pas toujours à notre écoute. Qu’il est parfois difficile de se rendre compte de ce que l’on subit. De ce que l’on tolère. Que notre société doit encore évoluer, prendre conscience et s’éduquer. Avant ces révélations il aurait été impossible de voir une série aussi puissante que I May Destroy You. Écrite, réalisée, produite et interprétée par Michaela Coel, elle puise son inspiration dans son propre parcours. Son récit est celui de milliers de femmes, d’hommes qui subissent la violence physique, psychologique, d’une poignée d’individus qui abusent de leur statut, leur pouvoir, leur force pour faire du mal.
Tout commence par une soirée entre amis dans un bar. Ils boivent, fument, dansent, s’amusent. Arabella autrice à succès fête son retour en ville, après quelques mois passés en Italie pour écrire. Elle est jeune, épanouie, heureuse. Le lendemain elle se réveille, assommée par le mélange d’alcool et de drogues de la veille. Elle essaie d’écrire, mais très vite des flashbacks et la découverte d’hématomes à la tête, sur le corps, vont venir la perturber. Que s’est-il passé ? Pourquoi ne se rappelle-t-elle de rien ? Ses amis essaient de la rassurer mais très vite la vérité est avouée, ils l’ont laissé seule, inconsciente dans le bar.

Les flashs s’accélèrent, elle se rend dans un commissariat de police, parle de la soirée, de ces images, ces marques sur elle, et soudain après analyse c’est l’évidence, elle a été droguée et violée. Commence alors pour Arabella un long chemin pour accepter, vivre en tant que victime, en parler à ses proches, et se reconstruire.
La série s’adresse à un public jeune, sensible à cette quête de justice, révolté, courageux et libre.
Au-delà de l’agression sexuelle, c’est toute la notion de domination qui y est traitée à travers des cas de grossophobie, de racisme, d’homophobie, de mépris des classes sociales.
Le consentement, les réseaux sociaux, le mensonge. On sent la rage, la volonté de dénoncer, de dire plus jamais ça. Mais à trop vouloir développer des thématiques aussi complexes la scénariste se perd par moments, et certains épisodes sont trop inégaux. Il y a des personnages qui apparaissent et disparaissent en quelques minutes, sans que l’intrigue ne leur laisse de la place. Le spectateur doit parfois être solidement accroché à son écran pour comprendre et ne pas perdre le fil, c’est là le principal défaut de la série.
Et si dans ces imperfections se cachaient une œuvre plus aboutie qu’il n’y paraît ?
Michaela Coel incarne avec force et détermination une jeune femme tourmentée, impulsive. Son regard nous hypnotise, nous bouleverse. Un personnage attachant, charismatique, qui se perd parfois, prend de mauvaises décisions, s’éloigne de ses proches, nous agace, puis nous inspire.

Après plusieurs seconds rôles, et une première série « Chewing-gum » (Disponible sur Netflix), l’actrice trouve ici un moyen de déployer son talent et nous prend en otage de ses émotions. Le scénario permet à certains membres du casting de briller également et d’incarner des personnages nuancés, avec leurs propres histoires, leurs qualités, leurs défauts, leurs failles.
On retiendra surtout les performances de Weruche Opia, lumineuse, qui joue la meilleure amie d’Arabella ; de Paapa Essiedu dans le rôle d’un homme homosexuel, victime de violences sexuelles ; et de Harriet Webb dans celui d’une femme déterminée à détruire le patriarcat.
La partie sur les réseaux sociaux, le développement de leur impact sur notre comportement est très intéressante. Sans eux, le mouvement #metoo n’aurait sûrement pas vu le jour, et cette série non plus. Mais on pose ici la question de savoir si le temps n’était pas arrivé de nous fixer des limites. De moins nous exposer, de moins nous mettre en scène, de moins nous isoler en restant trop connecté. Il y a également cette vision de la femme sur le monde, la société. On découvre sans fards les problèmes de menstruations, un sujet souvent tabou ou mal renseigné. Les plaisirs sexuels féminins, très loin des caricatures mises en scène par l’industrie pornographique. Le besoin d’indépendance, d’isolement, de réflexion. Les revendications féminines doivent être entendues, et cette série nous explique pourquoi il est important de s’en rendre compte.

Au final, je comparerai I May Destroy You à un labyrinthe, pour atteindre la sortie, la guérison, il faut emprunter de mauvais couloirs. Et au bout la lumière jaillit dans un final grandiose. Le dernier épisode nous fait oublier toutes les imperfections, toutes les incohérences, c’est un feu d’artifice, un chef-d’œuvre. J’ai la sensation que dans son quotidien, Arabella était maintenue la tête sous l’eau, elle retenait son souffle, attendait patiemment de boire la tasse. À travers son viol elle l’a bu, et au lieu de se laisser sombrer, elle s’est débattue, est remontée à la surface pour devenir une nouvelle personne prête à nous dévoiler un secret. Toute vérité se cache au plus profond de nous-mêmes.
Disponible en Streaming sur OCS.
-@The_narcisse_dream-
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