Jacques Frantz, l’éternel De Niro
- Le Poulpe
- 20 mars 2021
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Une fois de plus, le petit monde du doublage français est en deuil. Alors que 2020 nous avait enlevé Patrick Poivey (Bruce Willis) ou Roger Carel (Astérix) pour ne citer qu’eux, un grand nom de la profession s’en est allé les rejoindre le 17 mars dernier.
En termes de doublage, Jacques Frantz était avant tout la voix du mythique Robert De Niro, qu’il a doublé dans pas moins de 67 films, depuis Mean Streets en 1973 jusqu’aux récents Joker et The Irishman en 2019, et Mon grand-père et moi en 2020. Il a accompagné le grand Robert dans tous les registres, du gangster dépressif (Mafia Blues) au véritable salaud (Les Incorruptibles), en passant par le psychopathe complet (Les Nerfs à Vif) et le beau-père sévère et bourru, mais hilarant, dans la saga Mon beau-père. En parlant de De Niro, le comédien disait dans une interview avec Nathalie Karsenti en 2015 : « Je peux en parler, mais en même temps je le connais tellement que je ne peux plus en parler. […] A chaque fois c’est différent, et je me dis qu’il va me prendre à contrepied. »
Au-delà de De Niro, Frantz a prêté sa voix caverneuse à de nombreux comédiens prestigieux, parmi lesquels notamment Mel Gibson dans ses rôles les plus cultes : William Wallace, Martin Riggs, le jeune policier chien fou des Arme Fatale, ou Benjamin Martin, le héro en quête de vengeance de la fresque historique The Patriot. D’autres géants du cinéma américain, tels que Nick Nolte ou Jeff Bridges, auront également la chance de se voir représentés vocalement en France par ce comédien à de nombreuses reprises. Il double aussi John Goodman dans plusieurs dizaines de films, le suivant même sur certains rôles de dessins animés tels que Kuzco ou Monstres et Compagnie. Du côté des blockbusters, le grand public peut entendre sa voix dans la saga Pirates des Caraïbes, ou il double Gibbs, le plus ou moins fidèle second de Jack Sparrow, ou les Transformers, dans lesquels il interprète Optimus Prime.
Comme nombre de ses collègues de cette génération, Frantz pouvait se vanter d’avoir marqué la jeunesse de bon nombre de gens, et d’avoir permis aux versions françaises d’une certaine époque d’entrer dans la légende du doublage (on se souvient du monologue entre José Luccioni et lui dans Heat, dont la VF est d’ailleurs reprise presque mot pour mot par Alexandre Astier dans un épisode de Kaamelott, ou du discours flamboyant de William Wallace dans Braveheart, avant la bataille de Stirling). Il n’est également pas en reste en termes de dessins animés, étant régulièrement, par exemple, sollicité par Disney (Aladdin et le Roi des voleurs, La Planète au Trésor, La Princesse et la Grenouille…).
Mais Jacques Frantz, c’était également du théâtre, qu’il a commencé en 1969 dans une version de Roméo et Juliette mise en scène par Denis Llorca. Jusqu’en 2017, Frantz joue dans près d’une trentaine de pièces, et au début de sa carrière, en 1970, il apparaît même dans la mythique émission Au Théâtre ce soir, en y jouant encore du Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor. Sur sa dernière apparition au théâtre, dans une adaptation de L’Amante anglaise de Marguerite Duras, le Figaro écrivait que le comédien promenait « sa haute stature d’homme ».
Un homme de cinéma également, ayant mis son talent au service des monstres sacrés comme Jean-Pierre Prévost (L’Homme du fleuve), Francis Veber (Les Compères) ou Claude Zidi (Les Ripoux), rien que ça. Plus improbable, il joue en 2009 un des antagonistes du blockbuster G.I. Joe : Le Réveil du Cobra de Stephen Sommers, un rôle aux antipodes de ce qu’il avait pu faire jusque là (si l’on oublie certains personnages qu’il a doublés).
Cette voix incontournable (que l’on peut retrouver par ailleurs dans de nombreux documentaires ou livres audio), cet artiste aux facettes trop nombreuses pour qu’on les compte, est donc décédé, injustement, des suites d’une maladie fulgurante, comme l’a annoncé sa fille Marjorie Frantz, également comédienne. Il laisse une empreinte indélébile sur le monde du doublage français. Dans son interview avec Nathalie Karsenti, Jacques Frantz disait aussi : « A chaque fois que je pars doubler De Niro j’ai la trouille, je me demande si je vais être à la hauteur cette fois-ci. » On peut être sûrs d’une chose, c’est qu’il était bien le seul à en douter.
Vincent Déjardin
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