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Pourquoi on l’a oublié ? Hair



Depuis ses premiers balbutiements, le film musical est un de ces rares genres qui ne s’est jamais démodé au cinéma. Il faut dire qu’il y en a pour tous les goûts ; des films magiques que nos parents nous montraient avec Audrey Hepburn ou Fred Astaire au récent La la Land (2016) qui a remis le Jazz au goût du jour auprès du grand public en passant par les chefs d’oeuvres des années 80 tels que Grease (1978) avant que Disney ne reprenne le flambeau en berçant nos enfances (et celles de vos enfants pour les plus vieux de la classe) des sons pop-rock entonnés par Pumba, Aladin, et il faut le dire...Troy et Gabriella. Si beaucoup de ces films sont restés dans les mémoires, plusieurs sont aussi tombés dans l’oubli à tort ou à raison. Hair est un de ces films. Adapté d’une comédie musicale de Broadway et réalisé en 1979 par le talentueux Milos Forman (auteur de Man on the Moon, Amadeus ou encore Vol au-dessus d’un nid de coucou), Hair nous raconte l’histoire d’un jeune fermier naïf de l’Oklahoma, Claude Hooper Bukowski qui débarque à New York pour s’enrôler dans l’armée en pleine guerre du Vietnam. En déambulant dans la ville, il croise un groupe de hippies par lequel son regard sur la vie va évoluer. A sa sortie, le film est applaudi par le public et reçoit des critiques élogieuses, Hair est nominé aux Golden Globes dans la catégorie du Meilleur film musical ou de comédie ou encore aux Césars pour le meilleur film étranger. Et pourtant, que ceux qui se souviennent du film lèvent la main (pas tous en même temps hein)... ah, à ce point. Alors, c’est parti : pourquoi on a oublié Hair ?



1- Parce que la mise en scène peut sembler fade Du moins, fade pour un film musical... Cela peut sembler anecdotique, mais la plupart des comédies musicales s’appuient sur des mises en scène très stylisées qui rappellent l’univers coloré des planches de Broadway. Ce n’est pas le cas ici : les images, naturalistes, aux couleurs ternes à peine mises en valeur semblent ne pas être passées par la case étalonnage. Les mouvements de caméra sont simples et se concentrent sur l’essentiel à la manière d’un bon vieux documentaire sur la vie new-yorkaise des années 1960. En soi, rien de mal à cela, mais ce n’est pas forcément ce à quoi le spectateur s’attend quand on lui annonce une comédie musicale. De plus à quelques exceptions près, les séquences de chant et de danse ne sont pas particulièrement mises en valeur, elles sont filmées comme si la caméra adoptait le point de vue d’un spectateur assis dans la salle de spectacle.


2-Parce que le casting est inconnu au bataillon Loin de nous l’idée de sous-entendre que la qualité d’un film et sa réception dépendent des acteurs mais on va pas se mentir, les films les plus mémorables comportent souvent des acteurs d’exception qui participent au caractère légendaire des films en question. Que serait Le moulin Rouge (2001) sans Nicole Kidman et Ewan McGregor ou Drôle de frimousse (1957) sans la grâce espiègle d’Audrey Hepburn. Or, se souviendrait-t-on des acteurs si Hair était encore autant apprécié aujourd’hui ? Pas sûr...

3-Parce que plusieurs moments qui semblent importants pour la narration sont éclipsés

Que cherche-t-on dans une comédie musicale avec une histoire d’amour ? Ben...Une histoire d’amour. Des moments, d’ordinaire cruciaux dans les films sont ici éclipsés. On ne voit pas Claude se rapprocher de Sheila, on ne sait pas pourquoi celle-ci s’intéresse à lui, dès lors on ne s’attache que peu à leur couple. On ne sait pas non plus pourquoi le groupe hippie adopte Claude au point de traverser les Etats-Unis pour le voir une seule journée - alors qu’il ne nous semble qu’ils ne se connaissent que depuis... une seule journée. Et leurs retrouvailles sont à peine filmées, la fin n’a donc qu’un impact minime sur le spectateur comparé à ce qu’elle aurait pu avoir. Le film développe les entre-deux, les moments de creux, les disputes entre les personnages secondaires, et pas les choix cruciaux des personnages principaux. On peut avoir l’impression de trop en voir, et de ne pas en voir assez, on est dans leur vie de tous les jours pas dans les moments de rêve, ou les moments clefs.

4-Parce que les personnages sont peu attachants Ce choix de casting et ce choix de narration ont des conséquences directes sur l’attachement potentiel du public au personnage. John Savage qui interprète Claude dans le film est inexpressif le peu de fois où il est filmé seul à l’écran. A la rigueur, le charisme de Berger (éclatant lorsqu’il danse sur la table choquant la bourgeoise) pourrait presque nous faire mentir mais ces moments de lumière individuelle sont rares. On sent de la part du réalisateur une réelle volonté de ne pas mettre en valeur un personnage en particulier au profit du groupe. La Mélodie du bonheur (1965) doit sa force et sa beauté non seulement à ses chants et à sa mise en scène mais surtout à la pureté des sentiments qui animent le capitaine von Trap et Maria réunit d’abord par leur amour commun des enfants. Cela amplifie l’importance de chaque séquence, de chaque couplet. Difficile d’avoir de l’empathie pour des personnages à qui on ne s’est pas attaché au préalable.

5- Parce que le film est sorti trop tard Si la comédie musicale est sortie à Broadway la fin des années 1960, en pleine guerre du Vietnam, le film sort 20 ans plus tard ; la guerre, les hippies et les longs cheveux appartenaient déjà au passé. Le succès de la comédie musicale fut bien réel mais assez bref également. On peut supposer que sans ces années de retard sur l’ère du temps, Hair aurait pu être un immense succès, le symbole d’une cause contemporaine forte. Si le succès du film fut amoindrit par quelques années de décalage, à combien plus forte raison le spectateur d’aujourd’hui pourra trouver que le film a vieilli.

6-Parce qu’il y a trop de chansons Quelle mauvaise langue nous direz-vous, (ne partez pas maintenant s’il vous plaît !). Reprocher à une comédie musicale d’être trop musicale semble relever du non sens, pourtant à titre de comparaison on trouve huit chansons dans La la Land, sept, dans Drôle de frimousse (1957), douze dans West Side Story (1962) et tenez vous bien...près d’une trentaine dans Hair. Alors oui les chansons sont plus longues dans ces films que dans Hair mais les disposer avec parcimonie dans le film permet de mieux les apprécier chacune et de les mettre en valeur. Ici, les musiques s’enchaînent, s’intègrent dans la narration si bien qu’une fois le film terminé, on a l’impression d’avoir vu une longue chanson dont il est difficile de retenir plus d’une mélodie surtout quand on a pas l’habitude des comédies musicales.


7-Parce que la concurrence est rude Il n’est pas aisée de tirer son épingle du jeu quand on est une comédie musicale, surtout quand on sort un an après un succès planétaire tel que l’adaptation au cinéma de Grease qui avait déjà cartonné à Broadway. En 1978 Grease rencontre un succès total avec 400 millions de recettes au Box-office et 28 millions d’albums vendus dans le monde. Difficile de passer après cela et quand Hair sort, tout le monde a encore Grease en tête alors que le seul point commun de ces films est qu’ils sont adaptés d’une comédie musicale de Broadway. Hair est moins joyeux, moins coloré, plus politique, plus sérieux, peut-être plus sombre (notamment vis-à-vis de sa fin) et Hair n’a pas John Travolta. Encore une fois, le timing de sortie joue en sa défaveur.

Bon ça fait peut-être beaucoup de défauts pour un seul film ; cela vaut-il vraiment la peine de le regarder ? Absolument ! Et cela pour plusieurs raisons. Hair nous plonge à la fin des années 1960 avec un réalisme assumé, si son aspect documentaire peut dérouter, on ne peut lui ôter qu’il est un témoignage authentique et fidèle d’une époque qui évoque de nombreux fantasmes dans l’imaginaire

collectif (ce n’est pas ce bon vieux Tarantino qui dira le contraire).



Ici, les hippies du New York des années 60 ne sont ni fantasmés ni dénigrés ; ils sont représentés avec leurs qualités et leurs défauts (comme des humains en somme). On peut également noter plusieurs séquences qui rayonnent littéralement dans le film grâce à une photographie et une mise en scène originale : la séquence totalement délirante du rêve de Claude ou la scène de la musique « Hair » avec un montage alterné qui lie les amis dans la prison et à l’extérieur de celle-ci, comme si la musique leur permettait, le temps d’un instant d’être ensemble, d’être libres. Car cette comédie musicale, et c’est là un autre de ses points forts, est politique, c’est un hymne à la liberté fièrement affiché dès le titre qui revendique ce droit de vivre, de disposer de soi-même (et de ses cheveux). En cela, elle se détache de beaucoup (pas tous, mais beaucoup...) de films musicaux qui ont souvent connu un grand succès justement parce qu’ils permettaient à un public d’après-guerre d’oublier un moment un contexte politique difficile au profit d’un univers plus doux et léger (Top Hat (1936), Singin in the Rain (1952)...). Au-delà de son réalisme on peut retenir de ce film plusieurs hits comme la chanson « Hair » ou « Easy to be hard », d’ailleurs « Let the Sunshine in » ça vous dit rien ? La chanson vient de ce film et c’est probablement la seule chose dont on se souvient vraiment aujourd’hui ce qui est un peu triste, on est d’accord. Ce film ne doit pas être oublié car il est différent et original, là où la plupart des comédies musicales se concentrent sur un personnage, ou un couple au centre de tous les enjeux, Hair n’en fait pas des caisses avec la mise en scène et les artifices et présente un groupe qui danse et qui chante dans les rues de New York, c’est ce groupe le personnage principal (il y a Claude, certes, mais la narration ne le met pas particulièrement en avant par rapport aux autres personnages). D’ailleurs après la mort d’un des personnages (on vous épargne un spoiler), le groupe continue de vivre et continue de se réunir, le film ne s’attarde pas sur les problèmes particuliers de chacun mais traite d’une cause bien plus grande, celle de l’homme en général. Enfin on peut relever que Hair a le mérite de s’affranchir de Broadway. Adapter une comédie musicale à succès au cinéma n’est pas chose aisée. Ici, Milos Forman modifie deux arcs narratifs principaux (le triangle amoureux entre Claude, Sheila et George se change en une histoire d’amour peu développée entre Claude et Sheila ainsi que le final (on vous épargne un...ah oui on l’a déjà dit)) pour mieux se concentrer sur l’histoire qu’il veut raconter, celle de l’amitié qui lie les différents membres du groupe dans une époque pleine de changements.


Alors, peut-être que vous n’aviez pas oublié Hair ou que le film n’a simplement pas ce qu’il faut pour révolutionner le genre, mais en a-t-il seulement la prétention ? Si les évènements évoqués

et l’esthétique du film sont marqués dans le temps, son message, lui, reste intact et dans un genre codifié comme celui de la comédie musicale, ce film fait vraiment figure d’Ovni et c’est aussi pour cela que Hair ne doit pas être oublié.



La Madeleine

 
 
 

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