Pourquoi on l’a oublié ? Le grand blond avec une chaussure noire
- Le Poulpe
- 19 févr. 2021
- 5 min de lecture

Attention, là on attaque du très très lourd, un véritable chef-d’œuvre ! Et français pour une fois en plus (cocorico !) Une bonne comédie d’antan, devenue culte mais oubliée par une part de plus en plus importante du public. (oui, on sait, tout le monde l’a pas oublié, mais une piqure de rappel ne fait jamais de mal). L’histoire ? Celle d’un homme ordinaire (mais suffisamment original et malchanceux), violoniste professionnel, qui va être pris dans les mailles des services secrets français qui vont le faire passer pour un super agent afin de destituer le numéro 2 national. De l’espionnage ? De la comédie ? Un James Bond à la française ? Mais alors pourquoi a-t-on oublié Le Grand Blond avec une chaussure noire ?

1- Parce que son titre fait 5km de long
On le sait, le cinéma actuel fonctionne par attirance, par marketing. Et le titre, au même rang que l’affiche, est la première entrée du spectateur dans la salle de cinéma. Un titre pour qu’il marche (sur la génération actuelle surtout) doit être sobre, court et efficace (vous nous croyez pas ? Regardez le nombre de films avec un titre en un seul mot, comme Avengers, Parasite ou Tenet). Et malheureusement pour lui, Le Grand Blond avec une chaussure noire dépasse la règle du Uno en prenant une carte +2 et une autre +4 (pas près de gagner les cœurs des plus récalcitrants quoi).

2- Parce que son rythme est dur à prendre
Vous vous souvenez de ces cours de step ou de Madison au lycée où vous aviez l’impression de toujours être trop rapide ou trop lent par rapport au groupe ? Bah ce film c’est un peu pareil : le réalisateur vous mène souvent, comme un bateau sur la mer, dans des moments tendus, riches en informations et assez rapides et puis vous plonge dans un moment plus calme qui prend plus son temps. Difficile pour certain de rester accroché.
3- Parce qu’on adore Pierre Richard (pour ceux qui s’en souviennent seulement)
Excellent acteur, ayant souvent le même emploi et le même nom de personnage (sans blague, allez checker le nombre de films où il s’appelle « François Perrin » ou « François Pignon »), mais que les plus jeunes publics ont (pour le moment) totalement oublié au profit d’autres monstres de la comédie comme Louis de Funès ; peut-être parce qu’il n’est pas encore mort ?
4- Parce que son humour et ses dialogues datent un peu
« Et que c’est pas drôle » ; « Et que y a que ma grand-mère pour rire à ça » ; « Et que personne dirait ça dans la vraie vie » ; vous les avez déjà entendu ces phrases quand vous montriez un petit bijou de votre enfance à un.e pote ? (on est tous passé par là) Bah ouais, l’humour est moins évident que ce dont on a l’habitude (c’est ce qu’on appelle la subtilité) et ouais, les personnages parlent pas comme dans la vraie vie : mais vous savez quoi ? C’est du cinéma pardi, et non la vraie vie (on en reparle plus bas).
5- Parce que ça fait pas rêver
Une esthétique assez froide et peu sexy avec de grands immeubles noirs, gris et blancs, glacés par des baies vitrées archi à la mode au début des années 70 françaises, une époque à l’imaginaire collectif relativement contraint (entre les années 60 et les années 80 quoi) ancrée dans la Guerre Froide et le fantasme angoissant d’être constamment sous surveillance ; mettez le tout dans un shaker et secouez à fond, vous obtenez ce film qui, malgré une vraie proposition de cinéma (qu’on adore pour notre part) ne charme pas tous les cœurs et laisse froids (haha) ceux qui ne jurent que par l’exubérance multicolore des décennies à suivantes
6- Parce que trop de poésie ?

On avait dit qu’on y reviendrait (mais même nous on pensait pas si tôt). Ce film ne cherche pas le réalisme ou l’ultra réalisme actuel ; au contraire, il s’en détache (tout en respectant notre suspension consentie de l’incrédulité) pour nous proposer une œuvre, de fiction, d’espionnage, de comédie, tout ça certes, mais une œuvre avant tout. Regardez seulement la scène du concert à Gaveau et vous comprendrez comment le réalisateur et le scénariste ont réussi à concentrer tous les enjeux du films (le trio amoureux François, Paulette, Maurice. ; la malchance et la maladresse de François ; la surveillance des services secrets vis-à-vis de Perrin et entre eux aussi) dans une seule scène : c’est de la poésie !

Mais Le Grand Blond (pour les intimes) mérite-t-il vraiment de rester oublié ? ABSOLUMENT PAS (sinon on n’en parlerait pas remarquez). Avant tout, revenons sur cette poésie dans le film. On parlait juste avant de la scène du concert (saviez-vous d’ailleurs que c’est le réalisateur Yves Robert lui-même qui joue le chef d’orchestre ?), mais ce n’est pas la seule marque de poésie et de lyrisme dans le film : par exemple, tenez, les coups de feu qui s’enchaînent à la fin du film (ouais ça spoile mais c’est pas important) n’ont rien de réalistes, mais le fait d’avoir mis un silencieux sur les flingues nous fait comprendre qu’ils ne font pas de bruit ; delà nous acceptons que le bruit soit totalement étouffé et qu’aucune goutte de sang ne jaillisse des victimes : parce que le réalisme au cinéma c’est pas le plus important en fin de compte. Ajoutez à cela une musique originale entraînante et joyeuse, inspirée par les origines et les racines du compositeur Vladimir Cosma et vous obtenez un cocktail incroyable (avec sa petite rondelle d’agrume sur le verre, oui madame).
Un autre point important et qui donne encore plus de magie (c’est le cas de le dire) au film c’est son générique. Aviez-vous déjà vu un générique fait de tour de passe-passe avec des cartes qui donnent les noms de tous les acteurs (comédiens comme techniciens) du film réalisé par le célèbre magicien français Gérard Majax ? J’crois pas nan. Il a d’ailleurs lui-même un micro-rôle dans une scène magnifique qu’on vous laisse allez découvrir de ce pas (mais restez au moins le temps de lire la fin de l’article s’il vous plaît). D’ailleurs, puisqu’on parle de rôles, parlons du casting : on a déjà nommé Pierre Richard, personnage central et éponyme du film, mais n’oublions pas les prestations de Jean Rochefort (qui nous a quitté il y a peu), Bernard Blier (Volfoni dans Les Tontons tmtc), Jean Carmet (que vous avez surement vu dans La Soupe aux Choux) ou encore Mireille Darc ! Mais aussi des second couteaux incroyables (petite pensée pour Maurice Barrier, interprète de Chaperon, et Robert Castel, interprète de Giorghiu, morts en 2020).

Enfin, il nous faut souligner la subtilité du style et de la réalisation (comme pour la caractérisation de l’homosexualité refoulée du personnage de Toulouse, sur laquelle n’importe quelle comédie classique actuelle se serait appesantie lourdement) et l’originalité lunaire de l’intrigue qui nous embarque dans un délire incroyable et tourbillonnant, un siphon d’émotions. Car ce film est en vérité une vraie proposition de cinéma et une vraie invitation au voyage comme on en trouve moins actuellement dans le cinéma français (ça dénonce, mais c’est vrai) et surtout les comédies. Certes, il n’a pas les qualités standards de publicité que demande le public de nos jours, mais c’est une vraie œuvre qui propose une réflexion et un point de vue sur le monde et son époque à travers une fable burlesque et amusante, et ce dès son titre presque énigmatique (« Pourquoi une chaussure noire ? ») Bref, de l’art au sens propre ! Et c’est bien dommage de voir un tel film disparaître des radars à cause d’arguments publicitaires et marketing qui font du cinéma un enjeu de consommation et non plus de réflexion, d’émotions et de création.
Alors profitez-en, tant que les salles ne sont malheureusement pas rouvertes, (re)procurez-le vous et passez une bonne soirée en famille ou entre ami.e.s. Vous ne le regretterez pas.
-La Madeleine-
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